LEOPOLD PLOTEK
Yajima/Galerie, Montreal 6 fevrier — 6 mars 1982
by Pierre Landry
A tout bien considérer, et question de stratégie, la peinture aura gagné a s'effacer provisoirement, à disparaître sinon dans les faits, du moins au niveau d'un certain consensus théorique. À vouloir tout oublier d'une pratique devenue trop épurée, trop “étroite", la critique — dont on dit qu’elle était à l’origine du mal — se sera mise en position d’attente, donc de réceptivité accrue, avec ce que cela implique d’ouverture, d’attitude bon enfant, de contrition... Entre temps, côté pratique, la question devait se poser à savoir qu’elles furent les grandes erreurs de la démarche greenbergienne, soit ce que sa quête de spécificité aura voulu évacuer mais à tort, sans réaliser que la nature non spécifiquement picturale des éléments rejetés ne les rendait pas moins "nécessaires" a la peinture. La stratégie? Composer avec ce vide laissé par une certaine démobilisation critique, miser sur la disponibilité perceptive ainsi rendue possible, tout en introduisant ce qu’il faut de différences — et de différences d'autant plus opérationnelles qu'elles auront été calculées pour donner à voir et faire comprendre ce (nouveau) retour de la peinture... sur elle-même.
Les oeuvres récentes de Plotek, et bien que ce dernier n’ait jamais cessé de peindre, ont quelque chose à voir avec l’idée de retour, ou plutôt de revision. De revision dans le sens premier du terme: elles font voir à nouveau mais au moyen d'écarts mesurés, de petites différences, ce qui aurait déjà pu être vu (l’a peut-être été mais sans être retenu) si ce n’avait été de l‘option évolutionniste et apriorique endossée par la critique formaliste des dernières décennies.
En misant trop exclusivement sur la bidimensionnalité de la toile, la modernité formaliste aura souligné (et de façon paradoxale puisqu'elle voulait Ies dissiper) la récurrence de certains schèmes perceptifs invariablement présents au sein même du rapport du spectateur à l’oeuvre peinte. Appliqué à déconstruire l’espace hiérarchisé de la Renaissance, travaillant donc l’oeuvre de façon a l'épurer des structures narratives liées à la representation figurative, ce point de vue aura du même coup sous-entendu la force, l’omniprésence de ces structures dans l’acte de perception. Qu'on ait lu certaines oeuvres de Pollock (et non pas l’ensemble de sa production) comme étant parmi les plus planes, les moins figuratives de toute l'histoire de l‘art occidental, et que peu d'artistes, avant ou même apres lui, n’aient réalisé une telle “prouesse", ne prouve en fait qu’une chose: Pollock fait exception, ce qui bien sûr atteste de sa force mais tend aussi a démontrer, par le fait même de cette exception, qu’il y avait un brin de mauvaise volonté (un certain plaisir d’aller “contre nature"?) à vouloir trop vite en tirer une règle.
Non pas que Plotek fasse plus nature que Pollock — sa pratique n’est manifestement pas figurative. Mais elle semble toutefois chercher à recomposer avec cette tension que provoque, en peinture, la réapparition calculée — et à des fins qui nous fascineront d’autant plus qu’on se les explique mal — de références vaguement figuratives, de dichotomies forme/fond partiellement maintenues, de “parcours” à peine suggérés.
La ligne courbe, fréquente chez Plotek, et qu’on aura gadis interprétée par le biais d'une référence à l'architecture, sert ici à souligner la rondeur du castor (l’Extravagant), l'amorce d'un signe de flèche (The Heroism of Flattery) ou ce qu’on pourrait identifier comme étant la crête d'un coq (Carmen et Error). ll y a figuration mais à rebours, comme si on avait d’abord choisi un element formel qu’on aurait associé, après coup, aux différents “clichés“ figuratifs pouvant s’y adapter. La figuration a done ici valeur d’intrus, d’excédent, mais d’excédent dont on aura compris la valeur expressive et qui sera, semble-t-il, utilisé d’abord à cette fin. Sans parler du plaisir qu’il y a à réintroduire quelques bribes d’histoire, une histoire qui, bien que légèrement figurée, se lira aussi à petits coups de géométries imparfaites, de contours partiallement estompés, d’aplats “nuageux” et de couleurs “vaguement actuelles" (contrastes rose/noir ou gris/vert, reflets métalliques) — autant d'inscriptions de ce qu’on aura appelé, au sujet d’autres peintures récentes, le retour du sujet.
Ce retour, chez Plotek, se fait avec mesure (Ies “petites différences" mentionnées plus haut), c‘est-à-dire avec la conscience que, peut-être, le “sujet” dont il est question n’aurait auparavant été évacué qu'en théorie, soit de l’extérieur de la peinture. Le rapport du travail de Plotek à la peinture dite formaliste est trop évident pour qu’on en nie la valeur critique, soit ce qui en lui fait figure de leçon tirée d’une histoire récente. Ainsi s‘agit-il d'une peinture où formes et couleurs travaillent encore l‘espace à des fins autres que celles de la représentation, mais ce travail est ici plus libre, semble affranchi de l’idée qu‘iI y aurait, quelque part, un but unique à atteindre.