LEE PLOTEK: PEINTURES DE LA SUITE «PIERROT LUNAIRE»
by Gilles Toupin
La musique a souvent inspiré les peintres. C’est là une vérité et un lieu commun qui ne nous apprend hélas que peu de choses sur leur peinture. Lorsque le jeune artiste montréalais (il a 31 ans) Lee Plotek intitule les grands tableaux qu’il expose à la galerie Yajima (1) Peintures de la suite «Pierrot lunaire», il est bien superflu d‘y voir autre chose qu’un hommage à Schönberg et l’expresslon d’une fascination d’ailleurs avouée de l'artiste pour cette oeuvre musicale.
L‘enrobage que nous propose le titre de la suite est donc fort civilisé et plein de connotations culturelles qui ne sont pas sans séduction. Mais il faut bien en venir à la peinture et dire ce qu’elle est sans se laisser aveugler par le clinquant littéraire et musical qui l’accompagne. C‘est la que Plotek est moins convaincant.
Rappelons d’abord que le peintre est né a Moscou en 1948 et qu’il émigre a Montréal en 1960 où il vit depuis. Actuellement professeur d'art a l’Université Concordia. ll fut l'élève de Roy Kiyooka et de Yves Gaucher. Il fit même ses études supérieures sous la direction de Will Townsend au Slade School of Art, à Londres. On se souviendra qu'en 1976 Plotek exposait de la toile découpée et libre dans laquelle ll imbibait la couleur. ll s’agissait de travaux encore trop scolaires et peu personnalises.
Aujourd’hui, Plotek semble avoir rejeté bien des conventions modernes. Ses grands et imposants tableaux peints à l'huile nous confrontent à des surfaces dont la saturation des couleurs nous ramène presque toujours au premier plan. Dans Prière a Pierrot, par example, le rouge et le gris s‘equilibrent en deux masses à peu près équivalentes. Le travail de la surface est également à peine perceptible et empèche ainsi toute penetration de l’oeil dans un espace atmosphérique. Cette dernière toile fait immanquablement penser aux tableaux de Fernand Leduc avant ses Microchromies. La seule différence reside dans le format.
Si l’on s‘en tient à l’ensemble des compositions, aux jeux des arcs de cercle de Enthauptung par exemple, une autre référence figurative nous vient a l'esprit, celle de l’architecture. C‘est comme si Plotek schématisait à l'extrême certaines impressions architecturales, notamment avec une sorte de rendu stylisé du palais ducal de Mantoue qu’il visita lors d’un récent voyage en Italie. La petite Etude pour «Nostalgie» de 1978 nous montre bien le bienfondé de cette référence.
Dans l’ensemble, grâce à l’utilisation du grand format et par le fait même d’une couleur envahissante, Plotek évite de justesse de retomber dans le géométrisme abstrait à l’européenne. Sa couleur, en général sombre et froide, est subjective et personnelle. Les tableaux sont allusifs tantôt à l’architecture, nous l’avons vu, tantôt à des peintres comme Jean Arp et Ellsworth Kelly. Ses formes hiérarchiques et la gratuité du jeu pictural nous ramènent toujours au Coeur d’une peinture dont le plus grand défaut est d’être décorative a l’excès.